L’acte de capitulation fixe la fin des hostilités en Europe au 8 mai 1945 à 23h01 : c’est l’armistice. Mais c’est le 8 septembre 1944 qu’ Auvillars est libérée par le 3ème escadron du 2ème régiment de spahis algériens de reconnaissance, commandé par le capitaine de Baulny .

Ici, comme partout en France, la peur s’est installée pendant 4 ans, poussant les familles à prendre la route avec quelques affaires essentielles.

Michelle est la fille du receveur des Postes, elle se souvient des valises entassées sur une charrette, de ses pleurs car elle ne pense qu’à son petit chien qui s’est échappé…La famille va être hébergée chez des voisins.

La vie sera dure, elle se souvient être allée glaner du blé avec son père après les moissons pour faire un peu de farine à la maison.

André aussi se souvient de cette période. Il décrit les charrettes tirées par des chevaux, il entend encore les pleurs de son cousin Jean, dans son berceau accroché aux montants du véhicule. « On n’allait pas bien loin , dit-il, en tous cas pas plus loin que Beaune parce qu’il fallait revenir le soir traire les vaches  et ma mère devait servir au café ! »

Quant à Denise, elle n’a pas oublié l’époque de la Libération du village, où un habitant d’Auvillars, qui avait beaucoup pratiqué la dénonciation, a été assassiné dans la ruelle à côté du café.

Durant ces années particulières, l’état-major allemand s’installe au château, mais aussi dans quelques maisons du village. André se souvient que sa grand-mère devait héberger chez elle un prêtre allemand.

Des événements tristement banals, qui se sont déroulés partout en France. Mais il est un épisode terrible, encore commémoré aujourd’hui, qui a marqué Auvillars : le 7 septembre 1944, de jeunes résistants du groupe Marius sont fusillés en forêt par les allemands alors qu’Auvillars sera libérée le lendemain !

Trois jours auparavant, le groupe avait capturé 13 soldats allemands avec leurs armes. Les résistants sont arrêtés le 6 et fusillés le 7 en milieu de journée, sur le chemin forestier du Foyer.

Celui qui garde aujourd’hui le souvenir le plus vivace de cet épisode terrible, c’est André. Il n’avait que 12 ans, ses parents tenaient le café-restaurant sur la route. C’est là que les jeunes hommes ont été amenés le 6, qu’ils ont passé la nuit et qu’ils ont été transportés le lendemain vers la forêt.

André raconte :  « Ils ont été pris à Palleau et on les a amenés à Auvillars parce que c’est là que se trouvait le commandement allemand. Madame Crabbe, la châtelaine, a supplié le Général d’épargner ces jeunes. Il a donné sa parole. Personne ne s’est méfié, on a cru jusqu’au bout qu’ils allaient s’en sortir et personne n’a pensé à les faire fuir. Mais les allemands étaient disséminés, leur commandement explosé…Tout a été manipulé »

Madame Crabbe est venue annoncer la bonne nouvelle à Maurice Jacob, le père d’André. Les jeunes du FFI passent la nuit au café sur des lits de camp dans la salle de bal, 2 soldats allemands sont présents toute la nuit.

Le lendemain matin, la maman d’André leur annonce le menu de midi. Il se souvient qu’elle a parlé d’escargots…Et puis un camion vient les chercher, on leur dit qu’ils vont être libérés dans la forêt, les allemands leur offrent un verre d’alcool…

La suite on la connaît. Ils sont assassinés vers 11h au revolver dans les broussailles puis emmenés plus loin dans la forêt, comme l’évoque Marcel Bussière dans son discours lors de l’inauguration du monument. C’est Henri Monot, « ayant deviné le crime », et le père d’André qui trouveront les corps en fin de journée. Le lendemain, Auvillars était libérée… Cette tuerie n’était certainement qu’une vengeance allemande avant le départ.

Marcel Bussière évoquera également dans son discours, pour l’inauguration du monument à l’entrée de la forêt, « la haute personnalité de Madame Crabbe, qui sut organiser des obsèques d’une haute tenue, dirigeant le choeur des chants patriotiques, en particulier le chant des partisans (…) le Père Eugène de l’abbaye de Cîteaux officiait devant une foule immense et de hautes personnalités militaires et civiles, dans un profond recueillement. Je vois comme si c’était hier les 7 cercueils dans notre église et cette haie de jeunes Résistants, tenant des drapeaux tricolores inclinés sur ces corps sans vie. A l’époque, (…) par une souscription publique, chaque famille ayant versé son obole possède un fragment de cette croix de Lorraine.»

Y-a t-il alors des mots assez forts pour qualifier le saccage de cette croix en 2018 ?…

Une stèle commémorative a été érigée en 1945 à l’endroit de l’exécution. Elle a été remplacée en 2016 par un panneau mémoriel offert par l’ONF.

Mais il perdure encore une question à ce jour, qui n’aura probablement jamais de réponse  : André est formel, 8 jeunes ont passé la nuit chez lui et il y avait 8 corps dans la forêt. Mais seuls 7 noms sont gravés sur le monument et 7 cercueils ont été ensevelis. Cette 8ème victime aurait été le traître qui a « donné » ses camarades …

Il serait enterré dans la tombe sans nom sur le côté de l’église, à l’écart des autres.

Et pour André, que son père a emmené voir les corps « pour me montrer de quoi ont été capables les boches », une seule image restera imprimée sur sa rétine d’enfant  : des fragments de cervelle dans la veste d’un des jeunes…

Si les mémoires gardent encore des souvenirs plus ou moins clairs de cette époque dramatique, les écrits en allemand au crayon sur les portes des chambres de bonnes, dans les combles du château, sont glaçants. Ils nous rappellent que c’était il n’y a pas si longtemps…et que tout peut recommencer.

André Jacob est décédé cette année, juste après les commémorations du 8 mai. Avec une mémoire intacte sur ces événements, il a accepté volontiers de me confier ses souvenirs. Je l’en remercie encore.

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