J’étais un petit ruisseau, vif, espiègle, qui vient d’on ne sait où, qui n’a pas de nom, qui caracole là depuis des siècles. Je prends mon élan de la place de l’église pour me jeter dans les bras du petit fossé herbeux en contrebas, puis dans ceux de la Raie du lac pour arriver enfin à la Saône. Quel voyage !

J’étais un petit ruisseau qui parfois, galvanisé par les fortes pluies d’automne et du printemps ou les orages d’été, se prenait pour un grand, allant jusqu’à déborder au bas de la rue et s’étaler au croisement.

J’étais un petit ruisseau enjoué ; autrefois on m’a même fait passer sous un petit pont dont il reste quelques pierres au milieu des saules et des massettes.

J’étais un petit ruisseau bavard, qui pourrait raconter les sabots des petits écoliers allant à l’école, le babillage des lavandières autour du lavoir qui me domine, le claquement des outils des vignerons sur le coteau de la Petite Cure, et même les gémissements des malades soignés à l’hôpital à côté de l’église… Comme le temps passe vite !

Je ne suis plus que l’ombre de moi-même, enfermé dans un gros tuyau de plastique
sale, des tonnes de gravats sur la tête. Comme pour mieux me faire taire.

Toute la petite faune que j’abritais me cherche, me questionne : qu’as-tu donc fait pour mériter ça ? Je ne sais pas, je ne parle plus.

Les promeneurs ne voient plus de moi que mes larmes vomies par cette grande gueule noire.

J’étais un petit ruisseau. Je ne suis plus rien.

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